CROQUIS DU LUNDI  PAR  HERVE JAOUEN

Bourreaux d'enfants


Quand j'étais petit garçon, nos parents indignes nous livraient dès l'âge de six ans à de dangereux tortionnaires. Leur uniforme était une blouse grise, souvent tachée de mauve. Ils sentaient la pipe ou le tabac gris. Ils savaient tout : résoudre les problèmes de siphons aussi bien que l'art d'attraper les grillons, les poèmes d'Emile Verhaeren, tout comme la chasse au lapin de garenne.
Ces gardes-chiourme, pour soumettre leurs victimes, mettaient en oeuvre tout un tas d'odieux supplices. Chacun avait sa technique. Tirer les petits cheveux, sur la tempe, juste à côté de l'oreille, était un classique. Le coup de règle (dite " carrée ") possédait ses variantes. L'un préférait le donner sur la paume de la main ouverte. L'autre frappait le bout des doigts joints, ce qui lui permettait de pointer doublement les ongles en deuil et d'ordonner au négligé d'acheter une brosse dès le lendemain.
J'ai connu un adepte de la règle plate. Le condamné était prié de se mettre en position, comme pour une bastonnade, et recevait un coup du plat de la règle sur le postérieur. Il arrivait que la punition fût collective:
à la queue leu leu, on attendait de passer à la toise, et il y avait dans le rang des pénitents sinon de l'entrain, du moins comme de la fierté à partager l'épreuve de la brûlure fessière. Malheur à celui qui, à la maison, aurait porté plainte. Complices des sadiques, les parents auraient doublé la peine en appel. au prétexte que le juge de première instance avait sûrement retenu ses coups pour exécuter une peine cent fois méritée.
Ces ogres, ces bourreaux d'enfants, on les appelait des maîtres d'école. On leur doit tout, et en particulier leurs leçons de morale qui nous ont formé l'esprit. De nos jours, nos bons maîtres d'antan seraient condamnés à herboriser dans les jardins des maisons d'arrêt. Sauf à s'exiler en Angleterre. Selon un récent sondage, les parents d'élèves. britanniques seraient favorables au retour des châtiments corporels. Décidément, nos amis anglais veulent se distinguer en tout.


" Le télégramme de Brest ", 24/01/2000
(merci à Y.Lorgeoux pour cet envoi).